Le cadre juridique du mariage réserve souvent des surprises. Il peut en résulter des difficultés et s’avérer source de conflits. Une analyse de Grégoire Salignon, directeur de l’ingénierie patrimoniale et du Family Office, au sein de la banque privée de Rothschild & Cie Gestion.
À en croire l’auteur canadien Laurence J. Peter, « ‘un optimiste est celui qui croit que le mariage est un pari »… Le régime matrimonial peut, s’il est mal adapté, compliquer les choses. Nous avons retenu certaines situations fréquentes, sans toutefois pouvoir être exhaustifs. Fort heureusement, des solutions existent pour se prémunir de ces effets négatifs, la consultation d’un expert patrimonial ou d’un notaire étant probablement la première d’entre-elles. En un mot, il convient d’anticiper.
Ne pas vivre conformément à son régime matrimonial peut rendre certaines opérations fort coûteuses et pas seulement fiscalement
Quel que soit le régime matrimonial choisi, la règle d’or à respecter réside dans la conformité de son comportement à la philosophie et aux règles encadrant ce régime. Tout écart peut en effet «coûter» cher.
Vivre «communément» dans un régime séparatiste
Pour des conjoints mariés en séparation de biens, acquérir à deux un bien (par exemple, résidence principale ou secondaire) alors qu’un seul (au comptant ou par emprunt) le finance, peut revenir à le rendre «commun». Le juge, assimilant l’opération à une contribution aux charges du mariage, refuse en principe de reconnaître une créance à l’époux ayant financé le bien seul, contre l’époux propriétaire
indivis qui n’a pas participé au financement.
Cela est tout particulièrement vrai – mais pas uniquement- lorsque l’un des époux ne dispose pas de ressources suffisantes. La moitié du bien revient donc au conjoint qui se fonde alors sur la contribution aux charges du mariage, à défaut de pouvoir bénéficier du régime matrimonial favorable.
Une déclaration d’emploi de fonds propres ou d’origine de deniers dans l’acte d’achat d’un bien immobilier ou de parts de société, contresignée par le conjoint, permet de conserver la nature de bien personnel au support d’un réinvestissement (héritage, donation, revenus).
Si l’époux finançant seul l’acquisition du bien en remboursant un emprunt bancaire souhaite toutefois détenir une créance contre son époux, la constitution d’une SCI financée en partie par un apport en compte courant d’associé pourra être préconisée. Bien entendu, la solution la plus simple, si un seul finance le bien, serait que ce dernier achète seul le bien.
Souscrire une assurance-vie sur une seule tête avec de l’argent de communauté
Le sort de l’assurance-vie dans le régime légal de communauté réduite aux acquêts illustre aussi les conséquences inattendues des régimes matrimoniaux. Si chacun sait que les capitaux issus de l’assurance-vie sont civilement «hors succession», la jurisprudence, relayée par l’administration fiscale, est venue en atténuer la portée et créer un risque de double imposition (réponse Bacquet).
La surprise surgit lors de la liquidation du régime matrimonial : les contrats non dénoués, financés à l’aide de deniers communs constituent un actif de communauté tant civilement que fiscalement et rentrent donc pour la moitié de leur valeur dans la succession du premier époux décédé. Souvent méconnue, cette règle peut d’autant plus modifier la situation envisagée par les époux, que les sommes investies sur le(s) contrat(s) seront importantes. Sur le plan civil, les droits du conjoint survivant sur le reste de la succession en seront réduits d’autant (résidence principale, etc.) s’il veut conserver le contrat d’assurance non dénoué et éviter de payer la fiscalité en cas de rachat.
Fiscalement, si le conjoint survivant est désormais exonéré de droits de succession, ce n’est pas le cas des héritiers : les enfants devront donc acquitter des droits sur la quote-part de valeur du (des) contrat(s) leur revenant, soit en règle générale la moitié de la valeur du contrat non dénoué. Or, la fiscalité du contrat en cas de dénouement par décès pourra venir s’ajouter à terme à la fiscalité acquittée au décès du premier époux, créant ainsi une double imposition.
Des solutions existent pour remédier à cet inconvénient : pour les contrats existants, prévoir une clause de préciput dans un contrat de mariage ou convention notariée ultérieure de changement de régime matrimonial. Pour de futurs contrats, il sera judicieux d’adapter leur mode de souscription ainsi que la clause bénéficiaire ou réfléchir à un changement de régime matrimonial.
Stock-options : tout dépend du moment…
Un arrêt du 9 juillet dernier de la Cour de cassation se prononce sur la question de savoir à qui appartiennent les gains issus de plans d’options d’actions (stock-options) attribués à un époux marié sous un régime de communauté. A cet égard, il peut réserver de mauvaises surprises.
La date d’exercice des options déterminera leur nature, propre ou commune. Attribuées avant le mariage, les options constituent des biens propres par nature, mais leur levée pendant le mariage les fait entrer dans l’actif de communauté. A l’inverse, une attribution des options pendant le mariage mais une levée après le divorce (ou décès) leur conserve la nature de bien propre et évite leur partage en cas de séparation, alors que les époux auraient pu légitimement s’attendre à ce que les gains issus d’une attribution de stock-options pendant le mariage soient communs.
On ne saurait trop recommander dans les situations conjugales difficiles, de prêter une attention accrue aux implications du calendrier d’attribution et de levée des stock-options.
La communauté universelle peut être l’ennemi d’une transmission optimisée
La tentation est grande, notamment au soir d’une vie, d’adopter ce régime maximaliste pour protéger le plus possible son conjoint. La communauté reçoit alors l’ensemble des biens acquis ou reçus par les époux, il n’y a en principe pas de biens propres. En présence d’une clause d’attribution intégrale dans le régime de communauté universelle, le conjoint survivant recueille la totalité de la succession.
Cette technique a souvent été utilisée, notamment avant la loi TEPA de 2007, comme permettant d’éviter la fiscalité de transmission entre époux, seuls les avantages matrimoniaux, à la différence des libéralités entre époux, échappant à la fiscalité sur les transmissions à titre gratuit.
Si la protection du conjoint et l’absence de fiscalité entre époux sont bien réelles, cette solution est cependant onéreuse, notamment si un patrimoine important reste à transmettre. Le surcoût fiscal (si aucune donation n’est réalisée du vivant des deux époux) réside dans l’absence de transmission, ne serait-ce qu’en nue-propriété, aux enfants lors du premier décès. Les abattements et tranches basses d’imposition n’étant utilisés qu’une seule fois, au décès du second conjoint, le montant des droits de succession s’avère souvent élevé.
Attribuer une partie du patrimoine du vivant des deux époux par donation, ou dès le premier décès aux enfants/petits-enfants, par exemple en supprimant la clause d’attribution intégrale, est un choix pertinent. Cela permet de transmettre un capital, dès le premier décès, mais aussi de bénéficier d’une double progressivité de l’impôt. Différentes techniques peuvent être utilisées ou combinées pour y parvenir tout en assurant au conjoint survivant des revenus satisfaisants (réserve d’usufruit).
Le déménagement à l’étranger peut aboutir à un changement de régime matrimonial
S’établir à l’étranger sans penser à son régime matrimonial est un oubli fréquent. Or, aux impacts inattendus en cas de divorce devant les juridictions étrangères, s’ajoutent ceux d’un décès, la dévolution successorale dépendant pour partie du régime matrimonial applicable (puisqu’il détermine les biens appartenant à l’époux décédé).
A défaut de choix, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat sur le territoire duquel les époux établissent leur première résidence habituelle après leur mariage. Mais, pour les couples mariés depuis le 1er septembre 1992 sans contrat de mariage, un changement automatique de la loi applicable au régime matrimonial s’opère après dix ans de résidence (cf. convention de la Haye de 1978, signée par la France, les Pays-Bas et le Luxembourg).
Par ce mécanisme de « mutabilité automatique », le régime matrimonial légal du pays de résidence habituelle des époux se substitue à celui qui leur était jusque-là applicable et ce, sans effet rétroactif -les biens appartenant aux époux antérieurement à ce changement demeurent soumis au régime antérieur-. Les conséquences ne sont donc pas négligeables, mais surtout non anticipées, voire inextricables.
Pour les personnes concernées, il pourra être pertinent de choisir comme loi applicable celle de sa nationalité par une déclaration notariée ou par mention expresse dans son contrat de mariage. L’assurance-vie pourra aussi se révéler un outil pertinent pour une planification successorale dans un contexte international.
En conclusion, ne négligez pas votre régime matrimonial. N’hésitez pas à faire un point sur votre situation patrimoniale, vous aurez tout à y gagner. Tel est le message à retenir de ces quelques exemples. Les situations individuelles étant si variées et les implications multiples, seul le conseil adapté et personnalisé d’un expert permettra toutefois de faire les bons choix ou tout au moins, de connaître les conséquences de certains faits ou actes sur votre situation patrimoniale.
Publié le 18/12/2014 à 15:27 – Mis à jour le 18/12/2014 à 15:15